Nous vivons dans une société de consommation. C’est un fait. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, car c’est de la consommation que découle les revenus des entreprises, les emplois, la croissance et donc les rentrées d’impôts pour l’État, qui seront (normalement) redistribuées aux français sous forme de routes, d’écoles ou d’hôpitaux…
Pour que cette mécanique fonctionne, il faut sans cesse alimenter la machine en inventant de nouveaux besoins aux consommateurs, en renouvelant les collections, en créant des tendances. Le consommateur doit être continuellement stimulé. Il est primordial de faire naître en lui l’envie de succomber à la nouvelle mode du moment.
Et pourtant, comme le disait Coco Chanel, « la mode se démode, le style reste »…
Cet adage peut s’appliquer ou plutôt DOIT s’appliquer à la déco. Suivre la mode vestimentaire peut sembler important aux yeux de certains, par désir d’être dans le coup, de paraître moderne ou dynamique au travail ou dans la rue, ou peut-être par besoin de montrer son appartenance à un groupe social ou une classe d’âge. Il semble donc moins nécessaire de se plier aux diktats de la mode jusque dans son intérieur. Une fois la porte de sa maison refermée, on est chez soi, dans son refuge, à l’abri des regards. Pourquoi vouloir à ce point y faire entrer les dernières tendances ?
Evidemment , on y reçoit de temps en temps de la famille ou des amis, mais ce ne sont normalement pas le genre de personnes qu’on cherche à impressionner ou auprès de qui on voudrait passer pour ce que l’on n’est pas. Ou alors, c’est qu’il y a un problème…
Votre intérieur doit vous correspondre, vous ressembler, vous devez vous y sentir bien. Il doit refléter votre personnalité. Pourtant, suivre la tendance en matière de décoration, c’est forcément renoncer à nos particularités et à nos goûts personnels.
À leur sortie, certaines tendances ne nous séduisent pas au premier abord, et puis, à force de voir les mêmes articles partout, tout le temps, on se laisse gagner par cette nouvelle mode et on se retrouve tous avec les mêmes intérieurs ! Peu importe quelles boutiques ou grandes enseignes, vous avez l’habitude de fréquenter, sachant qu’à quelques exceptions près TOUS les professionnels de la décoration dénichent leurs « pépites » ou viennent s’inspirer des nouveautés du moment au salon Maison et Objets de Paris, qui se tient 2 fois par an en janvier et en septembre.
Certes, la mode a toujours existé, elle est antérieure à la société de consommation, aussi bien en matière d’habillement que de décoration. Il suffit de consulter les livres d’histoire ou de contempler des tableaux de Maîtres, pour se rendre compte que les coiffures et les toilettes de nos aïeux, ont parfois suivi des modes pour le moins extravagantes ! De même, les intérieurs ont abrité au fil des siècles, du mobilier aux styles complètement différents, souvent associés au nom d’une époque (Renaissance, Régence, Directoire, Empire, Restauration…) ou d’un monarque (Louis XIII, Louis XV, Louis XVI, Louis-Philippe). Avec la république, le rythme s’est accéléré et ce sont les décennies qui ont étaient mis à l’honneur (Années folles, puis 30, 40, 50, 60, 70…).
Le souci est que maintenant le temps d’une décennie ne suffit plus. Le rythme s’est considérablement emballé. Les styles mis en avant, sont plutôt devenues des ambiances. Ainsi, se sont succédé dans les magazines et les vitrines, des ambiances tour à tour Campagne chic, Shabby, Baroque, Industrielle, Zen, Bohême, Scandinave… Ca donne le tournis, non ?
Le problème c’est que faire coïncider sa déco à la tendance du moment, n’est pas aussi simple que renouveler sa garde-robe. Cela implique parfois d’entreprendre des travaux plus ou moins importants (peintures, papier peints, sols…), ou de changer des pièces de mobilier importantes comme un canapé ou même une cuisine, qui ont un coût non négligeable. Cela représente un investissement financier important, peut-être donc certains sacrifices, pour finir au bout du compte avec le même intérieur que la voisine…
Qui n’a pas vu dans un film ou une série, son lustre ou le cadre acheté il y a peu et qu’on trouvait tellement original. Ceux qui ont eu l’idée en premier se verront rejoindre par une foule de retardaires… qui l’auront peut-être eux découvert dans ce même film. C’est un peu le syndrome des prénoms des nouveaux nés. Les parents décident ensemble de trouver le prénom unique qui sciera parfaitement à leur petite merveille à naître. Ils le gardent secret souvent jusqu’au jour de la naissance, pour ne pas se faire influencer par d’éventuelles critiques ou même pour ne pas se le faire piquer, tellement il est spécial et merveilleux. Mais la tendance est impalpable, insaisissable, elle court, se répand et se diffuse… A l’entrée en maternelle de leur progéniture, ils découvriront avec effroi qu’ils étaient loin d’être les seuls, il y a trois ans , à avoir fait ce choix tellement original… Leur chère tête blonde va se retrouver avec une ribambelle de petits camarades portant le même prénom qu’elle. Les Marcel, Léon, ou Louise, prénoms souvent portés par les arrière-arrière-grands parents des jeunes parents seront légion à la sortie des classes…
Car nous sommes depuis longtemps, parfois sans nous en rendre compte, façonnés par la pub, le cinéma, la télé, la radio, les magazines. On nous suggère continuellement quoi porter, quoi manger, quoi lire, quoi regarder et jusqu’à quoi penser… L’avènement des réseaux sociaux a considérablement amplifié et accéléré le phénomène. Un nouveau métier a même été créé : influenceur ! Mais d’où vient donc cette saugrenue envie d’être influencé ?! Surtout par des personnes sans talent, ni savoir faire particulier, finalement de simples hommes sandwich des temps modernes, dont l’activité consiste à être rémunérées contre la création de « contenu » sponsorisé. Contenu… drôle de terme pour évoquer la vacuité.
Je pense en particulier à une influenceuse déco, auto-proclamée décoratrice d’intérieur, fort sympathique au demeurant, qui continuellement nous assène les mêmes éléments de langage ineptes du style : « cette couleur est so 2024 ». Non, une couleur n’a pas d’âge. Elle nous plaît, ou elle ne nous plaît pas. Si elle était portée aux nues en 2024, elle ne peut pas être devenue moche en 2025 ! Ce qui est beau un jour, vraiment beau, le reste à jamais. Est-ce que des œuvres telles que le plafond de la Chapelle Sixtine ou le Baiser de Rodin ont été ou seront considérés un jour comme parfaitement laides ? Si c’est le cas, c’est que le monde est fou. Ras le bol de ses phrases toutes faites : « ne faites surtout pas cette erreur qui va plomber votre déco », ou bien ce tapis, ce luminaire, ce coloris est « tellement has been ». Je me souviens qu’il y a quelques années, il était de bon ton de peindre son intérieur en blanc. C’était chic, c’était zen, ça apportait de la clarté et de la luminosité. Et voilà qu’aujourd’hui c’est devenu froid et même « glauque » selon l’énergumène précédemment citée, qui ne nous épargne pas le poncif habituel « ça fait hôpital », alors que les murs des hôpitaux arborent depuis très, très longtemps des coloris tels que le bleu, le vert, le jaune ou le rose… Bref, en 2024 elle ne jurait que par le terracotta, et cette année pour être dans le coup, il faut selon elle nous précipiter sur le « mocha mousse, couleur de l’année 2025 ». Une simple déclinaison de marron quoi… qui était en vogue au début des années 2000 ET des années 70. Comme pour les prénoms, tout est un éternel recommencement. Les décideurs en matière de mode, ne sont pas très créatifs. Le jeu consiste à trouver le coloris, l’accessoire, la pièce de mobilier qui a déserté nos armoires et nos intérieurs depuis longtemps, de telle sorte que nous soyons obligés de les racheter à nouveau. En fait, il ne font que glorifier, puis onnir, puis ressusciter à intervalles plus ou moins réguliers, ce qui l’a déjà été jadis. C’est ainsi par exemple, que les fauteuils en osier très en vogue dans les années 70, puis devenus ringards dans les décennies 80 et 90, sont revenus en force il y a quelques temps, affublés du qualificatif « bohême ». Il en va de même pour le style « scandinave », qui ne s’appelait pas comme ça à l’époque, mais qui était également omniprésent dans ces mêmes années 70. Les modes scandinave et bohême peuvent se faire du souci, elles seront bientôt sur la sellette…
Ce qui est affligeant, c’est que les tendances décriées aujourd’hui sont celles que cette influenceuse et ses acolytes ont encensées, il y a seulement une poignée de saisons. Les foyers qui ont choisi de suivre en 2024 les précieux conseils de ces spécialistes de pacotille, et se sont tous saignés pour l’achat d’une cuisine vert sauge et ont recouvert les murs du salon de peinture terracotta, déchanteront dans quelques temps quand leur intérieur sera jugé comme « vu et revu » (comme ils disent) et considéré comme daté par ces mêmes conseilleurs. Pensez à l’épidémie des verrières d’atelier. Ces éléments architecturaux sont magnifiques dans leur environnement originel (un atelier ou une usine), ils étaient donc tout à fait à leur place quand on s’est mis à réhabilité ces lieux en lofts d’habitation. Mais vraiment, la présence d’une petite « verrière », simple morceau de verre (quand ce n’est pas du plexiglass) sérigraphié pour simuler des barreaux (normalement en fonte ou en acier), dans un pavillon… apporte t-elle une réelle plus-value au lieu ? A contrario, pourquoi nous avoir fait supprimer les radiateurs en fonte dans les logements anciens ? Les radiateurs modernes soi-disant plus performants, le sont-ils réellement ? 1 KW = 1 KW… Il n’y a pas de secret. Les vieux radiateurs en fonte, sont solides, costauds et ne tombent jamais en panne. Ils ont fait leurs preuves. Si vous avez la chance d’acheter une maison ancienne équipée de magnifiques radiateurs en fonte fleurie, ne les jetez pas ! Une fois restaurés, ils vous chaufferont comme au premier jour de leur installation, comme il l’ont toujours fait. Alors qu’ils ne sont qu’un élément technique, ils apporteront à votre intérieur, le caractère et l’authenticité.
Par pitié, cessons de jeter aux orties ce qui est ancien, comme nos meubles de famille, ces pépites qui nous rappellent tellement de souvenirs, ces madeleines de Proust décoratives : le vieux vaisselier de Mamie qui y cachait les bonbons qu’elle distribuait à ses petits enfants avec un doux sourire, ou la charmante banquette en osier qui trônait dans la véranda de la maison de vacances de notre enfance et où dormait le vieux matou roulé en boule, ou encore le petit bureau à retaper devant lequel nous rêvassions au lieu de faire nos devoirs…
Les conserver nous fera du bien au moral, tout en faisant du bien à la planète. Ils nous racontent une histoire, la nôtre, que nous pourrons transmettre à notre tour. Nous pouvons les sauver, les réhabiliter, les transformer, les réparer, les relooker, les chouchouter. Le ponçage et le décapage font des merveilles. Les meubles en kit, généralement en médium, ne supportent pas les démontages, les déménagements, ils ne sont pas faits pour durer et ne se transmettent pas. Ils ne racontent aucune histoire. Ils n’en ont pas le temps. Ils meurent, comme la tendance qui les a vus naître.
Il faut absolument conserver les éléments architecturaux ou de mobilier de caractère, ne pas passer son temps à succomber à la tendance du moment qui veut les reléguer aux oubliettes. Ce qui vous plaît doit être préservé, peu importe ce qu’on vous dit, ce qu’on vous montre.
Alors refusons l’uniformité ! Nous ne sommes pas des moutons. Chez nous, à la maison, là où nous sommes censés être tranquilles, loin du bruit et de l’agitation, créons notre propre univers, notre propre ambiance, celle qui nous plaît vraiment. Il nous faut concocter notre style, personnel, original et éclectique. Laissons parler notre imagination. N’ayons pas peur de nos véritables goûts. Mélangeons, inventons, chinons, recyclons ! Les possibilités sont infinies pour nous permettre de créer un cocon qui nous correspond, dans lequel nous nous sentirons bien, tout simplement nous-mêmes.
Nous voulons un intérieur qui nous ressemble, unique, différent de celui que les magazines nous donne à voir et différent de celui de nos voisins !
STOP aux tendances, aux diktats et à l’UNIFORMITE !!!